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Benoit Vidal
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Benoit Vidal
25 octobre 2021

Pour le roman-photo (2010), de Jan Baetens

J’ai adoré lire Pour le roman-photo de Jan Baetens, ouvrage très érudit sur le roman-photo, qui m’a enseigné beaucoup de choses et apporté une meilleure compréhension des liens qu’entretien cet art narratif avec les moyens d’expression qui lui sont proches, comme le roman-dessiné, le ciné-roman, la photographie séquentielle, l’ouvrage photographique etc. Baetens est un expert du « nouveau roman-photo » (qu’il écrit parfois en mettant « nouveau » entre parenthèses), ce courant ou plutôt cet embryon de courant qui a cru pouvoir percer dans les années 1980 mais qui est resté à l’état d’expérimentation originale sans engendrer de descendance.

Je recommande donc la lecture de ce livre qui a plein de qualités, mais j’aimerais cependant souligner trois choses qui m’apparaissent comme des défauts :

1) Le premier défaut se niche dans la première page et l’introduction du livre. C'est une opinion personnelle, mais je suis gêné par ce procédé souvent utilisé par des auteurs ou des commissaires d’expositions (procédé très fréquent lorsque l’on parle de la bande-dessinée notamment) qui consiste à s’excuser, dès les premières lignes introductives, de traiter d’un genre considéré comme mineur, comme inférieur, comme illégitime… avant de dire « ...mais c’est quand même intéressant d’en parler... ». À partir du moment où l’on a commencé en évoquant l’idée que le roman-photo est un moyen d’expression mineur, quoique que l’auteur puisse dire par la suite, le lecteur conservera cette idée en tête. Ce type d’introduction me donne envie de refermer le livre (ou de quitter l’exposition). Soit on écrit sur le roman-photo parce qu’on trouve ça intéressant, soit on n’écrit pas sur le roman-photo. Je suis un peu catégorique lorsque j’écris ces lignes, mais c’est ce que je ressens au moment où je lis ces introductions. S’excuser de parler du roman-photo est triste et nuisible (pas nuisible dans l’absolu, mais nuisible pour la qualité de la réception, par le lecteur, du propos, développé par l’auteur, qui va suivre l’introduction). Bien entendu, cela ne remet pas en cause l'intérêt de ce que l'on découvre ensuite dans le livre, mais c'est tellement dommage !

2) Le deuxième défaut, très relatif, réside dans le ton du livre. Baetens est un universitaire qui adopte un ton souvent très académique qui, personnellement, ne me dérange pas, mais qui fera fuir un certain nombre de lecteurs. Avec ce livre, on est dans une analyse très intellectuelle du roman-photo, du rapport texte-image, de la narration graphique et de la séquentialité.

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3) Le troisième défaut n’est pas le moindre : Baetens ne parle pas de Pauline à Paris. L’ouvrage a été réédité en 2017, et l’auteur évoque La fissure, docu-photo publié au printemps 2017. Pauline à Paris a été édité en 2015… On comprendra facilement qu’à mes yeux, ce défaut est majeur… voire inexcusable.

En écrivant ces lignes mon intention initiale était de faire un trait d’humour en évoquant l’absence de mon ouvrage dans le livre Pour le roman-photo. Mais à la relecture, je pense que ce troisième point mérite un développement. En effet, je crois que l’absence de Pauline n’est que la partie visible de l’iceberg. Baetens ignore totalement toutes les productions en roman-photo éditées par FLBLB depuis quinze ans. Ce qui est très étonnant au vu du recensement très exhaustif réalisé par ailleurs dans cet ouvrage. Alors pourquoi un tel oubli ? Cela ne peut pas être innocent.

Car au-delà de la boutade, je trouve paradoxal (et sans doute un peu triste) que Baetens, qui écrit souhaiter « donner une nouvelle chance à [ce] genre » passe totalement à côté du seul éditeur français qui défende justement ce moyen d’expression depuis quinze ans. Ce qui est en contradiction avec la troisième piste que propose Baetens lui-même :

- que le roman-photos retrouve une mémoire, une histoire (ça, c’est le rôle du travail de Baetens et du livre Pour le roman-photo)

- que le roman-photos explore de nouvelles voies pour contourner les écueils financiers (oui, bon d’accord… pourquoi pas, mais le roman-photo sur Internet est au roman-photo ce que le livre électronique est au livre papier… alors bon…)

- que les photo-romanciers usent d’une définition plus large et plus ouverte du genre.

Et sur ce troisième point, n’y a-t-il pas meilleur exemple que Pauline à Paris ?

Je crois que la myopie de Baetens s’explique par une opposition de point de vue avec les éditions Flblb, et parmi ses fondateurs, avec Grégory Jarry qui est celui qui est le plus attaché à défendre le roman-photo. Dans son manifeste Debout le roman-photo, seul livre des éditions Flblb cité par Baetens, Grégory Jarry n’est pas tendre avec le « nouveau roman-photo ». Il parle des « tentatives absconses de Marie-Françoise Plissart et Benoit Peeters ». Car Grégory Jarry défend l’idée, développée en introduction du catalogue 2017 des éditions Flblb, que la belle photo nuit à la narration en roman-photo (comme le beau dessin nuit à la narration en bande-dessinée).

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Or dans son livre, Baetens érige les œuvres de Plissart et Peeters en modèle. Il suffit pour s’en convaincre de compter le nombre de pages dédiées à l’analyse de leurs œuvres comparativement aux autres roman-photos cités par Baetens. On touche donc là du doigt quelque chose qui semble du domaine de l’opposition irréconciliable. Car si je partage le point de vue de Baetens lorsqu’il juge les propos de Grégogy Jarry « un peu lourds », je pense qu’il souffre d’un tropisme orienté vers la photographie d’art. Et même si Baetens explique très bien que séquence et récit sont deux choses totalement différentes, il semble trouver beaucoup plus de plaisir à décortiquer une séquence photographique qu’à discuter de la construction d’un récit.

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Or c’est bien par le récit que doit être jugé le roman-photo, et je rejoins là, je crois, l’opinion de Grégory Jarry. Ce n’est pas pour un quelconque défaut de qualité photographique que les roman-photos à l’eau de rose publiés dans les revues comme Nous Deux ne figurent pas dans « mon salon », mais parce que leurs histoires sont répétitives, mal ficelées, stéréotypées, et finalement, en un mot, industrielles. Hergé ne savait pas vraiment bien dessiner lorsqu’il crée Totor et réinvente les codes d’un moyen d’expression, celui de la bande-dessinée. Ce que l’on trouve dans L’os du gigot, dans Les maquisards du poirier, ou dans Pauline à Paris, ce sont des photos moches au service d’une narration, et les éditions Flblb réinventent ainsi les codes du roman-photos.

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Donc je recommande à Baetens de découvrir les ouvrages édités par Flblb, éditeur qui a le mérite d’éditer assez régulièrement des romans-photos étonnants depuis plus de quinze ans, et seul éditeur à ne pas sombrer dans ce piège parfaitement identifié par Baetens : « produire un roman-photo est une petite folie, que souvent on ne peut se permettre une seconde fois. Faute de public et d’investisseurs, le roman-photo semble condamné à vivre de coups, un engagement à long terme relevant pour l’instant de l’utopie ». Ce dont Baetens rêve, Flblb le fait !

En conclusion, malgré ces critiques que j’ai peut être développées exagérément, Pour le roman-photo est un ouvrage essentiel qui occupe une place privilégiée dans mon salon « sur le » (et non pas « du ») roman-photo.

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